L’altérité de la Chine est une construction de sinologues - Forum Chine Nouvelle
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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Richane (Adresse IP journalisée)
Date: Mon 12 April 2010 13:25:08
@ François

Si tu m'avais demandé "Francois, comment traduirais du l'expression Jingyesi", je t'aurais répondu "pensée d'une nuit calme", et on n'en aurait plus parlé.

J’ai formulé ma question de manière ouverte, c’est-à-dire en te laissant le choix de répondre à partir des traductions existantes ou à partir d’une traduction venant de toi.
Si je t’ai posé cette question, c’est parce que je ne suis satisfait par aucune des traductions données et que la difficulté de traduire un texte chinois est une chose suffisamment courante pour qu’on ne puisse pas affirmer, comme le fait Gaudier, que « l’altérité est une invention de sinologues ».
Pour répondre à la remarque de Florent sur l’utilisation du mot « altérité » je pense qu’il faut lui associer le mot « difficulté ». Autrement dit, l’altérité de la culture chinoise est-elle suffisamment importante pour qu’elle engendre de la « difficulté » pour un non-chinois pour l’appréhender ?
La réponse de Gaudier est d’affirmer qu’il n’y a aucune difficulté et que "Il n’est pas d’énoncé ayant un sens en une langue qui ne puisse être traduit par un énoncé ayant un sens équivalent en une autre langue"


Je ne vois pas en quoi ton exemple le réfute. La traduction est possible, sinon tu n'aurais pas 4 traductions de ce poeme mais zéro.

Mon exemple réfute l’absence de « difficulté » . Et la difficulté se traduit justement par 4 traductions différentes. « zéro » traduction signifierait « impossibilité », ce que je n’ai jamais avancé.

Maintenant, je serais intéressé de voir comment tu aborderais le problème de la traduction (ou de la non traductibilité) de ce titre... Si l'on fait abstraction du style (qu'on se limite au seul problème de traduction), le débat ne me parait plus porter sur le sens à donner au mot "si", est ce juste une pensée, un souvenir, un souvenir mélancolique, une nostalgie?

D’abord la traduction que tu retiens « pensée d’une nuit calme » ne me satisfait pas (pas plus que les autres traductions du livre) ; car la nuit, même calme, n’a pas de pensée. Cela irait déjà mieux de dire « pensée par une nuit calme ». Mais cela ne va pas encore bien, car le mot « pensée » signifie au premier abord « penser à quelque chose », ce qui n’était pas l’état d’esprit du poète qui laissait vagabonder son esprit depuis son lit jusqu’à son pays natal, en passant par le spectacle de la lune. En fin de compte j’ai retenu le titre suivant : « Pensée vagabonde par une nuit tranquille ».
J’avais éprouvé la même insatisfaction à partir des traductions du poème lui-même. Et après avoir cogité pendant des heures et des jours, j’ai choisi de traduire par des phrases longues, dont le rythme correspond mieux à cette errance de l’âme du poète entre son lit et son pays natal.
Cela donne le texte suivant qu’il m’a été « difficile » d’accoucher et qui ne représente que ma façon de « sentir » l’état d’esprit du poète :
- Au devant de mon lit la lumière blanche de la lune s’étale ;
- On dirait du givre recouvrant la terre.
- Levant la tête je contemple au loin la lune claire ;
- Baissant la tête je songe à mon vieux pays natal.
Il n’y a pas 18 pages de texte, mais respecter la brièveté du texte chinois serait à mon sens commettre un contresens poétique.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Mon 12 April 2010 14:58:34
Citation:
je t’ai posé cette question, c’est parce que je ne suis satisfait par aucune des traductions données et que la difficulté de traduire un texte chinois est une chose suffisamment courante pour qu’on ne puisse pas affirmer, comme le fait Gaudier, que « l’altérité est une invention de Sinologues ».

Je comprends, et je suis en d'accord. Ce qui m'ennuie, c'est que pour avoir aussi essayé de traduire de l'anglais, je rencontre exactement la même difficulté, et même sur des poèmes bien plus récents que Li Bai.

Je te donne un exemple avec un poeme court d'Emily Dickinson, si tu sais l'anglais, je te conseille d'essayer, il n'y a aucune difficulté de langue, de contexte, ou même de culture, c'est juste dur parce que c'est de la poésie...

I'm nobody! Who are you?
Are you nobody, too?
Then there's a pair of us - don't tell!
They'd banish us, you know!

How dreary to be somebody!
How public like a frog
To tell one's name the livelong day
To an admiring bog!


C'est dans ce contexte que je lis Gaudier différemment... Ce que je comprends de sa thèse, c'est que les difficultés de la traduction du chinois sont davantage les difficultés qu'on a à traduire, que des difficultés qui tiendraient à une spécificité du chinois.

Citation:
Mon exemple réfute l’absence de « difficulté » . Et la difficulté se traduit justement par 4 traductions différentes. « zéro » traduction signifierait « impossibilité », ce que je n’ai jamais avancé.

Là je suis d'accord...

Citation:
En fin de compte j’ai retenu le titre suivant : « Pensée vagabonde par une nuit tranquille ».

C'est intéressant. Ce qui m'ennuie avec le "vagabonde" c'est que je ne trouve pas ce sens dans 思, qui, je trouve, évoque plutôt un regret, ou comme le dit Guillermaz, une nostalgie, une pensée "concentrée", je crois. Vagabonde donne un air folâtre à la chose. Il me semble aussi qu'on ajoute quelque chose au texte. J'ai tendance à plutôt "réduire" quand je traduis, quitte à enlever du sens, pour ne pas donner au lecteur "plus" que ce que l'auteur a pu mettre.

Citation:
Au devant de mon lit la lumière blanche de la lune s’étale ;
On dirait du givre recouvrant la terre.
Levant la tête je contemple au loin la lune claire ;
Baissant la tête je songe à mon vieux pays natal.

Bravo! Ce n'est pas la façon dont je traduirais, mais je trouve cela très juste.

Quelques réflexions en te lisant:

J'aime bien le songe de la fin... Dans la mesure où c'est le même mot que le titre, pourquoi ne pas le reprendre : Songe d'une nuit tranquille? (par une nuit tranquille si le parallélisme Shakespearien te gêne...)

Dans le texte original, la lune n'est pas blanche, et ne s'étale pas. Aussi le chinois emploie une image assez banal. Ne peut on pas, en français utiliser une image banale et proche : clair de lune 明月光

Je ne crois pas qu'on doive parler de vieux pays natal, 故乡est, je crois, une expression figée (comme 明月 d'ailleurs, qui à mon avis veut juste dire la lune...)

Cette lune pose d'ailleurs un problème assez typique quand on traduit du chinois, elle est répétée deux fois. En chinois ca passe, en français moins bien... Doit on la conserver, ou au contraire l'enlever?

Une chose intéressante, c'est qu'on introduit toujours, dans ce poeme, un "je" qui n'y est pas en chinois. Je pense que le sens l'indique, mais l'idée de s'en débarasser est très tentante...


Je vais essayer de proposer quelque chose... Ca pourrait commencer comme ça...

Devant mon lit, le clair de lune
Est comme gelée sur le sol (ou gelé, peut être)
...

J'y réfléchis dans le métro, et je reviens un peu plus tard...

Francois

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Mon 12 April 2010 16:13:07
Bon, le métro portant conseil, voici une tentative.


Nocturne

Au pied de mon lit, le clair de lune
Me parait du givre sur le sol,
Je lève la tête, le contemple,
La baisse, et repense à mon pays.


[edit] une remarque à ce sujet d'une amie chinoise: en chinois, une chose particulière de ce poeme sont la rime en "ang" à la fin, qui donne à l'ensemble un caractère lumineux, voir ensoleillé, étrange pour un clair de lune...

Francois

Modifié 2 fois. Dernière modification le 13/04/10 02:40 par Fcharton.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: florent (Adresse IP journalisée)
Date: Mon 12 April 2010 20:15:22
francois
sur le mot altérité, je te propose de prendre un dictionnaire ou qqch pour bien cerner le mot.
ensuite tu peux relire le post de demoore plus haut. Il ne retombe pas du tout dans le contresens de M Gaudier, tout en exprimant son idée je crois. (si je me souviens bien, "il y a continuité entre les différences qu'on observe entre france et allemagne et france et chine. Il n'y aurait pas rupture". Aucun contresens ou emploi abusif là dedans).

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: florent (Adresse IP journalisée)
Date: Mon 12 April 2010 20:21:04
oui richane, l'altérité altère, elle corrode, elle abîme
c'est d'abord quelquechose ou quelqu'un qui est autre (ce qui ne veut pas du tout dire qu'il est incompréhensible, et heureusement!)
et en second degré un autre qui nous met un peu à l'épreuve (regarde mes exemples plus haut : un match de tennis, un parapluie qui rentre dans les côtes), qui brise un peu la tranquilité que j'avais tout seul

ces deux aspects du mot s'appliquent parfaitement je crois à l'expérience d'un francais qui apprend le chinois et parle avec des chinois

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Richane (Adresse IP journalisée)
Date: Tue 13 April 2010 03:41:14
Merci pour cette tentative de traduction, François.
Mais je me retrouve devant un texte purement descriptif et factuel.
Il n'y a plus de poésie, plus de nostalgie, ni de voyage dans les sentiments qui troublé l'âme du poète.

Cela me renforce dans l'idée que l'altérité de la culture chinoise pose quand même de redoutables problèmes, même parmi ceux qui sont parmi les plus aguerris pour l'appréhender.

Comme le dit Florent, l’altérité chinoise « met à l’épreuve » tous ceux qui s’y frottent.

Et j'attends toujours des preuves de Christophe Gaudier sur ce qu'il avance.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Tue 13 April 2010 04:10:47
Richane écrivait:
>
> Mais je me retrouve devant un texte purement
> descriptif et factuel.
> Il n'y a plus de poésie, plus de nostalgie, ni de
> voyage dans les sentiments qui troublé l'âme du
> poète.

Je ne suis pas certain de comprendre ce que tu appelles poésie, dans ce cas.

Pour moi, cela tient essentiellement au rythme (plus qu'à la rime, en fait), et au fait que les mots se disent bien. Ensuite, la poésie chinoise est généralement très concrète, avec des mots simples, descriptifs et factuels.

Je crois que c'est justement l'enjeu de la traduction de la poésie chinoise : de rendre cette émotion faite de mots simples et de phrases courtes.

Mais derrière se cache une opinion sur la poésie chinoise, et nous n'avons clairement pas la même.

Alors, peut être que la poésie n'est pas un bon exemple, puisqu'elle fait intervenir une "idée poétique", qui échappe au langage...

> Cela me renforce dans l'idée que l'altérité de
> la culture chinoise pose quand même de
> redoutables problèmes, même parmi ceux qui sont
> parmi les plus aguerris pour l'appréhender.

Justement, pas moi... Le problème se poserait exactement pareil avec l'anglais, ou l'allemand, voire, dans le cas de la poésie, le français.

Il me semble en fait que tu commenterais un poeme français, et ce qui fait son émotion de facon radicalement différente de moi, devrait on en conclure à une 'auto altérité' du français?

Francois

Modifié 1 fois. Dernière modification le 13/04/10 04:12 par Fcharton.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Richane (Adresse IP journalisée)
Date: Tue 13 April 2010 07:08:56
@ François

Tu as écrit :
« Je ne suis pas certain de comprendre ce que tu appelles poésie, dans ce cas. Pour moi, cela tient essentiellement au rythme (plus qu'à la rime, en fait), et au fait que les mots se disent bien. »

Si la poésie se ramène pour toi au rythme et aux mots, effectivement nous n’avons pas la même approche de la poésie. Pour moi la poésie est une alchimie complexe, qui fait appel à tous les sens, c’est-à-dire au rythme, aux mots, à leurs sonorités, à leur association, à leur positionnement, au moment de leur apparition dans le texte, à leur contiguïté, à leur complicité, etc

Par exemple, tu m’avais proposé d’introduire le mot «songe » dans le titre. Cela n’est pas possible, car l’apparition de ce mot à la fin du poème marque justement le point d’arrivée d’une lente dérive de l’esprit du poète, depuis la réalité concrète de la de la lune devant son lit jusqu’au « rêve » de son pays natal, une étape importante de ce voyage de la réalité au rêve étant cette confusion trouble entre lumière blanchâtre de l’astre lunaire et givre recouvrant la terre.
Introduire le mot « songe » dans le titre anéantirait complètement l’effet de cette lente dérive de l’esprit du poète.


« Alors, peut être que la poésie n'est pas un bon exemple,
puisqu'elle fait intervenir une "idée poétique",
qui échappe au langage... »

Je suis d’accord avec toi pour dire que la poésie n’est pas un bon exemple, pour la raison que tu as énoncée.
Mais revenons donc à des choses plus prosaïques et prenons par exemple l’expression « yi shi » (疑是) qui figure au début du 2e vers. J’ai eu un mal fou à traduire cette expression, alors qu’elle joue un rôle capital dans le texte, car c’est à partir d’elle que nous sommes emportés avec le poète dans la lente dérive citée plus haut. Je me suis contenté d’exprimer le doute par « On dirait », mais cela ne traduit la richesse de ce mot qui exprime à la fois doute, trouble, soupçon, incertitude, méfiance, …
Puisque tu penses comme Christophe Gaudier que "Il n’est pas d’énoncé ayant un sens en une langue qui ne puisse être traduit par un énoncé ayant un sens équivalent en une autre langue", pourras-tu me proposer pour cette expression un énoncé qui soit plus satisfaisant que la platitude et la trivialité de mon pauvre « On dirait » ?



« Il me semble en fait que tu commenterais un poeme français,
et ce qui fait son émotion de facon radicalement différente de moi,
devrait on en conclure à une 'auto altérité' du français? »

Désolé, François, il ne peut y avoir « d’auto-altérité » du français entre nous deux, car je suis d’origine chinoise (de père et mère chinois), né en France, d’éducation confucéenne et d’instruction à l’école de la République .
Disons plutôt que j’ai vécu dans l’intimité de mon être deux altérités, celle chinoise de mes parents et celle occidentale de ma formation de l’esprit. Comme je l’ai déjà dit, cela fait pas mal d’années que j’essaye d’articuler en un discours cohérent les correspondances et les dissemblances entre ces deux cultures.
Et je suis étonné qu’ayant rencontré tant de difficultés un inconnu puisse clamer haut et fort que l’altérité de la culture chinoise n’est qu’une invention de sinologues.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Tue 13 April 2010 08:23:16
Citation:
Par exemple, tu m’avais proposé d’introduire le mot «songe » dans le titre. Cela n’est pas possible, car l’apparition de ce mot à la fin du poème marque justement le point d’arrivée d’une lente dérive de l’esprit du poète,

Peut etre, mais le poete n'est ce pas le même caractère que dans le titre? Si l'on retrouve le même mot, à deux endroits, dans le texte, n'est il pas normal de les traduire de la même manière (ou alors, faut il considérer, comme je le suggérai au début, que le titre est "postiche").

> Introduire le mot « songe » dans le titre
> anéantirait complètement l’effet de cette
> lente dérive de l’esprit du poète.

Cette lente dérive est une interprétation, elle est bien sûr suggérée par la succession des mots et des générations de commentaires, mais elle ne figure pas dans le texte. Je ne comprends pas pourquoi tu veux la traduire avec des mots.

Introduire songe (ou plutot utiliser le même mot pour traduire 思) ce serait traduire, le refuser au nom de l'interpretation, c'est faire un commentaire.

C'est précisément ce qui sépare nos approches...

> Mais revenons donc à des choses plus prosaïques
> et prenons par exemple l’expression « yi shi »
> (疑是) qui figure au début du 2e vers. J’ai
> eu un mal fou à traduire cette expression, alors
> qu’elle joue un rôle capital dans le texte, car
> c’est à partir d’elle que nous sommes
> emportés avec le poète dans la lente dérive
> citée plus haut. Je me suis contenté
> d’exprimer le doute par « On dirait », mais
> cela ne traduit la richesse de ce mot qui exprime
> à la fois doute, trouble, soupçon, incertitude,
> méfiance, …

"On dirait" n'est pas si mauvais. Ce qui, je crois, te pose problème c'est que les mots ne reflètent pas le commentaire. La critique que je fais à "on dirait", c'est moins la pauvreté que le "on", parce que je crois que le sujet de 疑 (c'est un verbe, on est bien d'accord là dessus) doit être le même que celui de 望 dans le vers suivant...

> Puisque tu penses comme Christophe Gaudier que "Il
> n’est pas d’énoncé ayant un sens en une
> langue qui ne puisse être traduit par un énoncé
> ayant un sens équivalent en une autre langue",
> pourras-tu me proposer pour cette expression un
> énoncé qui soit plus satisfaisant que la
> platitude et la trivialité de mon pauvre « On
> dirait » ?

"Je me demande si c'est". Puisqu'on ne fait pas de poésie, c'est cela le sens, le mot à mot... On peut peut être nuancer un peu sur le niveau de langage, le fait que yi renvoie un peu plus à l'hésitation, mais il faut alors faire très attention à ne pas confondre le sens moderne de ce mot, et celui qu'il avait pour Li Bai.

La poésie (la traduction du style, en fait: c'est un problème plus général) introduit une contrainte supplémentaire qui oblige à s'éloigner de ce mot à mot, mais je ne vois pas de problème de traduction, ici.

Maintenant, je pourrais te citer des exemples où c'est nettement moins facile. Je crois juste que le poeme n'est pas très bien choisi pour la démonstration. On pourrait par exemple s'essayer à des poetes modernes, les menglong, par exemple, qui sont justement réputés pour cette difficulté...

> Désolé, François, il ne peut y avoir «
> d’auto-altérité » du français entre nous
> deux, car je suis d’origine chinoise (de père
> et mère chinois), né en France, d’éducation
> confucéenne et d’instruction à l’école de
> la République .

Hehe, je m'attendais un peu à une réponse de ce type (tu as un peu préparé ce coup de théatre, non?), mais ce n'est pas ma question.

Ne crois tu pas que nous aurions exactement la même discussion si on parlait d'une traduction depuis l'anglais? Notre différence de point de vue, porte sur la poésie, pas sur la langue (je ne crois pas qu'on se soit opposé sur le sens des mots). Et si c'est la poésie qui nous oppose, cela s'appliquerait aussi au français, non?

Je dis cela parce que je connais des français "de souche" qui pensent exactement comme toi sur la traduction poétique (je suis à peu près certain que Florent souscrirait à ton approche).

Je pense que cette différence est finalement assez voisine du problème de l'interprétation en musique (ou au théatre, ou quand on lit un poème). L'interprète doit il rester en retrait, en se limitant à une traduction objective (ou une interprétation minimale) ou proposer sa version des faits, sa lecture de l'oeuvre?

Aucun des deux extrèmes n'est tenable, mais je suis partisan (en musique également) d'un interprétation qui ajoute le moins possible, je pense que tu souhaites une approche plus interprétative.

Dans le cas d'un texte moderne, on peut éventuellement demander à l'auteur, mais dans le cas d'un poeme écrit il y a plus de mille ans?

Là où je te rejoindrais peut être, sur CE poeme, c'est qu'il est tellement célèbre, et figé, qu'en traduire l'interprétation, plutôt que le sens, est peut être la bonne idée. Au fond, ce poeme, ce n'est pas plus du Li Bai, que "rendre à César" n'est du Jésus...

En gros, ce que j'essaie de dire, c'est qu'on ne prend pas le bon exemple, et que cette réfutation de Gaudier n'en est pas une.

Francois

Modifié 2 fois. Dernière modification le 13/04/10 09:38 par Fcharton.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: florent (Adresse IP journalisée)
Date: Tue 13 April 2010 09:32:32
Richane et Francois

VOus mettez la barre très haut en parlant poésie, non ?
(richane si tu veux voir francois et moi parler de poésie (très différemment d'ailleurs) tu peux voir ici [florent.blog.com] )

Même ce désormais célèbre M Gaudier reconnaîtrait, je pense, que la poésie, en tant que jeu de formes et de sonorités échappe à sa vision triviale de la traduction.

Prenez des choses plus simples telles qu'on les voit sur ce forum :

- un visiteur voudrait se faire tatouer "vérité" sur l'épaule et demande quel terme chinois il faut mettre ?
- on discute sur un autre post sur l'idée de mot en chinois. Cette idée est importante pour un francais qui apprend le chinois ; il pense la langue à travers l'objet "mot". Qu'est ce donc qu'un mot en chinois ?

Si ces questions sont faciles, tant mieux pour m Gaudier.
Sinon, tant mieux pour les curieux.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Tue 13 April 2010 09:46:48
florent écrivait:
>
> VOus mettez la barre très haut en parlant
> poésie, non ?

C'est pas moi qu'ai commencé, m'sieur!

> Même ce désormais célèbre M Gaudier
> reconnaîtrait, je pense, que la poésie, en tant
> que jeu de formes et de sonorités échappe à sa
> vision triviale de la traduction.

Je crois aussi...

> - un visiteur voudrait se faire tatouer "vérité"
> sur l'épaule et demande quel terme chinois il
> faut mettre ?

Là monsieur Gaudier en parle... C'est le début de son second paragraphe...

Citation:
Imaginons maintenant que par le plus grand des arbitraires nous choisissions de traduire systématiquement temps par un même mot. Il y a peu de chance pour que l’étendue des emplois de ce mot recouvre parfaitement celle qu’il a en français.

Un "mot" n'a pas de traduction simple hors de tout contexte, parce que les étendues des emplois ne se correspondent pas d'une langue à l'autre. Le tatouage c'est encore pire que la poésie !

Je ne sais pas traduire, d'un mot unique le mot "chinois" en chinois, je ne sais même pas traduire "la chine", de façon unique, en chinois. J'en déduis quoi?

Francois

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: florent (Adresse IP journalisée)
Date: Tue 13 April 2010 10:49:37
Ca y est j'ai fini mon thé (le thé vert de 庐山, il est vraiment délicieux!)

Tu sembles dire francois qu'un mot pris tout seul ne veut rien dire ?

Je crois que si !

Souvent je prends un mot et je le médite, je le savoure, je le questionne.

Un chinois ne t'a jamais offert une belle calligraphie avec un seul caractère dessus ?

Le francais qui veut se faire tatouer "vérité", n'est ce pas là un contexte bien réel ? Il aime la vérité, il aime ce mot et ce qu'il recouvre. Il voudrait savoir comment l'exprimer en chinois. Et bien pour le faire il va devoir creuser un peu, comprendre un peu. Il va se heurter à des difficultés, des choses qui le dérangent. Et on peut espérer que finalement il trouve son bonheur.
Mais ce ne sera pas sans avoir eu affaire à l'altérité chinoise. Et peut être qu'un bon passage d'un bon sinologue pourra bien l'aider à assouvir son désir de trouver le mot "vérité" en chinois.


Ceci me permet de formuler une nouvelle critique du texte de M Gaudier sur le site "les mots sont importants" (un comble quand même!) :

- En disant qu'à chaque énoncé correspond une traduction parfaite en chinois, il sous entend qu'à chaque contexte correspond un énoncé suffisamment clair et concis pour être parfaitement traduit. Et bien je ne crois pas. Certains contextes donnent des énoncés troubles ou vagues. Dans ce trouble ou ce vague (ce que le futur tatoué met derrière le mot "vérité"), fait de subjectif et de non dit, l'altérité chinoise joue à plein. En d'autres termes M Gaudier aurait raison si la langue était parfaite, et que chacun s'exprimait parfaitement en francais. Mais ce n'est pas le cas.

Cette critique s'ajoute à celles qui ont déjà été formulées plus haut :
- Mauvais usage du mot "altérité".
- Refus de considérer des concepts construits au delà des mots. Négation d'une pensée par représentations qui ne colle pas exactement au langage
- Interdit de penser ; fermeture ; refus d'une recherche de sens.
- Vision utilitariste du langage, et indifférenciée de la culture

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Tue 13 April 2010 11:03:17
florent écrivait:
>
> Tu sembles dire francois qu'un mot pris tout seul
> ne veut rien dire ?

Non, je dis qu'un mot un tant soit peu polysémique, sans contexte, est intraduisible. Il veut bien sur dire quelque chose, mais il n'est pas traduisible.

En gros, quand on traduit, on traduit des phrases, des vers, pas des mots.

> Un chinois ne t'a jamais offert une belle
> calligraphie avec un seul caractère dessus ?

Si, et j'ai toujours été affreusement embarassé quand on m'a demandé de la "traduire".

> Le francais qui veut se faire tatouer "vérité",
> n'est ce pas là un contexte bien réel ? Il aime
> la vérité, il aime ce mot et ce qu'il recouvre.
> Il voudrait savoir comment l'exprimer en chinois.

S'il veut le faire, il devra donner du contexte.

Imagine que tu veuilles te faire tatouer "droit" sur l'omoplate gauche, en anglais... Si tu vas voir un anglais, il va te demander "lequel", "le droit" (parce que tu es un ancien d'Assas), "droit" comme pas à gauche (parce que politique, ou blague), "droit" comme dans j'ai le droit, ou comme dans "droits de l'homme" ou comme "dans tes bottes",...

Si tu dis que tu les veux tous, il te répondra que ton omoplate est trop petite...

> Mais ce ne sera pas sans avoir eu affaire à
> l'altérité chinoise. Et peut être qu'un bon
> passage d'un bon sinologue pourra bien l'aider à
> assouvir son désir de trouver le mot "vérité"
> en chinois.

Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'altérité ou de sinologie. On va juste devoir te demander ce que tu entends par vérité, pour savoir si on veut 是 信 正 ou chapaquoi

> - En disant qu'à chaque énoncé correspond une
> traduction parfaite en chinois, il sous entend
> qu'à chaque contexte correspond un énoncé
> suffisamment clair et concis pour être
> parfaitement traduit.

Je ne crois pas que c'est ce qu'il dit. Ce qu'il dit c'est qu'on arrive à traduire, c'est possible, et que la polysémie, et les faux amis ne sont pas spécifiques au chinois.

En gros, ce n'est pas propre au chinois.

Comme je le disais à Richane, ces malentendus potentiels existent en français, entre français. Il n'y a pourtant pas lieu de conclure à une auto-altérité du francais, ou à la nécessité de françologues comme truchements.

En fait, plus ca va, plus je me dis que cette discussion illustre assez bien ce dont parle Gaudier. On parle tous français, on manipule les mêmes concepts, on parle de sujets qu'on connait et pourtant on a du mal à se comprendre. Pourquoi alors considérer cela comme "normal" quand cela se passe en francais, mais caractéristique d'une spécificité (revélateur d'une différence culturelle quelque peu insondable) quand on parle du chinois?

Francois

Options: RépondreCiter
Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: florent (Adresse IP journalisée)
Date: Tue 13 April 2010 11:26:01
Fcharton écrivait:
-------------------------------------------------------
> > Un chinois ne t'a jamais offert une belle
> > calligraphie avec un seul caractère dessus ?
>
> Si, et j'ai toujours été affreusement embarassé
> quand on m'a demandé de la "traduire".

Pour moi cet embarras que tu ressens, c'est cela l'altérité chinoise. Elle se concoit aussi avec le portugais ou le swahili.

Ce qu'il
> dit c'est qu'on arrive à traduire, c'est
> possible, et que la polysémie, et les faux amis
> ne sont pas spécifiques au chinois.
>
> En gros, ce n'est pas propre au chinois.

Tout à fait d'accord avec tes mots ici !

Options: RépondreCiter
Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Richane (Adresse IP journalisée)
Date: Tue 13 April 2010 13:30:29
@ Florent
J'ai parcouru ton blog sur la poésie : c'est très intéressant ; mais c'est dommage que les enregistrements des interventions soient difficiles à écouter. En aurais-tu des transcriptions sur papier ?
J'ai aussi pris conscience que j'ai eu quelqu'outrecuidance à polémiquer sur la poésie avec le spécialiste qu'est françois. Effectivement j'ai mis la barre trop haut, d'autant plus que la poésie n'est pas le champ approprié pour le sujet débattu.

@ François
D'accord pour distinguer interprétation et traduction.
Mais on ne sait pas toujours où s'arrête la traduction et où commence l'interprétation. On peut même se demander parfois si l'excès de retenue de la traduction ne trahit pas plus la pensée que l'interprétation.
Dans un édifice où finit l'architecture et où commence la décoration ?

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Tue 13 April 2010 15:31:21
Richane écrivait:
>
> avec le spécialiste qu'est françois.

不敢当 !

> Mais on ne sait pas toujours où s'arrête la
> traduction et où commence l'interprétation. On
> peut même se demander parfois si l'excès de
> retenue de la traduction ne trahit pas plus la
> pensée que l'interprétation.

Je suis d'accord. C'est ce qui fait, à mon avis, le charme de l'exercice. Sur des poemes que j'aime, j'ai parfois plusieurs traductions, que je refuse de mélanger, et entre lesquelles je ne veux pas choisir...

Dans le cas de poèmes anciens et célèbres, une question supplémentaire se pose: doit on traduire le texte, ou le commentaire qui, habituellement, en est fait. Là encore, il n'y a pas de vérité.

Bon, je m'arrête là, on m'a livré cet après midi un magnifique piano... avec un silencieux en plus, mon chinois est donc en pause jusqu'à nouvel ordre.

Francois

Modifié 1 fois. Dernière modification le 13/04/10 15:37 par Fcharton.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: florent (Adresse IP journalisée)
Date: Thu 6 May 2010 06:14:19
l'article de M Gaudier n'est je crois qu'une pâlotte fiche de lecture d'un livre de M JF Billeter, "Contre Francois Jullien".

Je recommande ce livre à tous ceux qui adhèrent aux idées de M Gaudier (Demoore ?).

Il est très intéressant à lire ; j'ai fait une fiche de lecture ici.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: florent (Adresse IP journalisée)
Date: Sun 4 July 2010 05:53:01
Tiens, remontons cette discussion pour les petits nouveaux et faisons passer l'affirmation de M. Gaudier ("à chaque énoncé correspond une traduction parfaite en chinois") par l'épreuve du feu.

Voici la phrase d'un calligraphe un peu excentrique d'il y a quelques siècles: 难得糊涂 (nán dé hútú)

Ce n'est pas un caractère ou un mot; c'est une phrase complète et autonome. J'ai fait calligraphier cette formule en grands caractères 大字, en semi-cursif, et je l'ai dans mon bureau. Beaucoup de Chinois la connaissent; j'en ai parlé à des dizaines de chinois qui me l'ont tous expliqué différemment, avec des nuances. Belle illustration je crois de l'imperfection du langage telle que je la décrivais à François plus haut (13 avril 16h49). De tout langage (pas seulement le chinois).

Je propose ma traduction, sachant qu'elle est parfaitement imparfaite :

难得糊涂 : N'est pas imbécile qui veut.

A noter que plusieurs chinois me l'ont même catégoriquement refusée. Qui veut proposer une traduction ?

Modifié 1 fois. Dernière modification le 04/07/10 23:31 par Olive.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Sun 4 July 2010 12:49:16
florent écrivait:
>
> 难得糊涂
>
> j'en ai parlé à des dizaines de chinois qui me l'ont
> tous expliqué différemment, avec des nuances.
> Belle illustration je crois de l'imperfection du
> langage telle que je la décrivais à Francois
> plus haut (13 avril 16h49).

Donc, de l'avis de tes interlocuteurs chinois, cette phrase n'a pas un sens précise. En ce sens, il ne s'agit donc pas d'un "énoncé unique" comme les appelle Gaudier, mais d'une expression qui peut être interprétée de diverses façons (c'est typique de certaines calligraphies, je crois).

Si elle n'a pas un sens fixe en chinois, elle ne saurait (sauf petit miracle) avoir une traduction unique. Moyennant un contexte qui en explicite le sens, elle a peut être une traduction parfaite. Hors contexte, elle n'en a pas.

Et c'est bien le problème, d'ailleurs, parce que je ne crois pas que cette expression "existe" en dehors de la calligraphie de Zheng Banqiao, illustrissime.

Ce serait pareil en francais pour un slogan, ou certaines expressions à double sens (on ne prête qu'aux riches)

Francois

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: florent (Adresse IP journalisée)
Date: Sun 4 July 2010 13:32:51
on retombe francois sur l'imperfection du langage, qui remet en cause la confiance béate de M Gaudier sur la possibilité de tout traduire

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Sun 4 July 2010 15:03:14
Je ne suis bien sur pas d'accord sur l'imperfection du langage. Le fait que le contexte soit nécessaire pour comprendre une phrase, et donc la traduire, est une donnée, pas une imperfection, du langage.

En francais, une phrase comme "je lui ai dit que tu viendrais" est correcte, banale même, mais ne peut être traduite vers l'anglais ou le chinois si le contexte ne nous dit pas si ce "lui" est un "il" ou une "elle"... C'est exactement pareil en chinois.

Mais une fois le contexte fourni, la phrase peut être lue, pensée, et restituée dans une autre langue, n'importe laquelle. Ca peut parfois être laborieux, mais la difficulté est (à mon avis) plus un problème liée à la langue cible (vers laquelle on traduit) que la langue de départ.


Quant à Gaudier, je le laisse répondre...

D'abord, je me permets de citer in extenso son premier paragraphe

Citation:
Le temps qui passe, les temps anciens, le temps qu’il fait, les trois temps de la valse, autant d’emplois du mot « temps » que nous distinguons fort bien et nous savons pertinemment qu’il n’existe aucun concept nommé « temps » qui recouvrerait intégralement ces différents emplois. Nous le savons tellement bien que si nous devions traduire chacune de ces expressions dans une langue étrangère, il est probable que nous commencerions par vérifier quel est dans cette langue le mot qui correspond à tel emploi et que nous traduirions chacun de ces temps par un mot différent

et puis, au quatrieme:

Citation:
Pourtant cette fameuse altérité n’est dans la plupart des cas qu’une construction qui repose pour l’essentiel sur des jeux de langage. Elle se base sur la croyance assez naïve que nous avons que les mots désigneraient inévitablement et invariablement des choses et des réalités.

enfin, voici (dans son contexte) sa phrase sur la traduction...

Citation:
Je m’appuierais pour cela sur une évidence et une conviction :

l’évidence, qui devrait apparaître à chacun, est qu’il n’y a aucune raison pour que le chinois et le français ne soit pas également polysémiques : il serait donc étonnant qu’un mot ai dans l’une ou l’autre langue invariablement le même sens dans tous les énoncés où il apparaît ; en retour, je ne vois pas non plus de raison pour qu’il existe en français un mot dont l’étendue des sens qu’il pourra prendre se superpose exactement avec celle des sens d’un mot chinois ;

la conviction est que l’exigence de sens n’est pas moindre pour un chinois, de quelque époque qu’il soit, que pour un lecteur français, et qu’il n’est pas d’énoncé ayant un sens en une langue qui ne puisse être traduit par un énoncé ayant un sens équivalent en une autre langue ; le travail du traducteur consiste alors à chercher le mot qui en français fait sens de la même manière, et il est certain que ce ne peut être une traduction littérale.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: florent (Adresse IP journalisée)
Date: Sun 4 July 2010 22:22:41
Si j'ai bien compris Gaudier, le discours était: Un mot est polysémique, les champs sémantiques ne se recoupent pas (cf temps et temps) et donc un mot n'est pas traduisible à l'identique, ne rêvons pas. (Jusque là il ne faut pas être grand polyglotte pour être d'accord).

Mais ensuite il disait qu'un énoncé, une suite de mots permettait de lever la polysémie et donc était forcément traduisible. Si je te comprends bien Francois, tu vas plus loin que son idée en disant aussi qu'une phrase peut être polysémique. Que te faut il alors pour pouvoir traduire? Un paragraphe? Une page? Un livre?

Bien sûr que le contexte est important ; mais c'est simplificateur de dire qu'une phrase donne le contexte et donc tout devient parfaitement traduisible. Le contexte est bien caché, il résiste bien.

Modifié 1 fois. Dernière modification le 04/07/10 23:34 par Olive.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Mon 5 July 2010 02:12:41
florent écrivait:
>
> Mais ensuite il disait qu'un énoncé, une suite
> de mots permettait de lever la polysémie et donc
> était forcément traduisible. Si je te comprends
> bien Francois, tu vas plus loin que son idée en
> disant aussi qu'une phrase peut être
> polysémique. Que te faut il alors pour pouvoir
> traduire? Un paragraphe? Une page? Un livre?

Ca dépend. C'est pour cela qu'il dit énoncé et pas phrase, je pense. Je ne comprends pas ce problème que tu as avec le contexte, il en faut en francais quand on lit, et en chinois quand on lit, et donc il en faut quand on traduit. Sur des phrases longues, ce contexte peut être un peu long, mais il ne l'est jamais trop, où l'oeuvre serait illisible.

> Le contexte est bien caché, il résiste bien.

C'est cela l'erreur, à mon avis. Si le contexte était caché, il ne serait pas accessible au lecteur.

Je pense qu'on doit, pour traduire, avoir à l'oeuvre une relation un peu plus détendue que cette idée paralysante d'un "sens caché" qu'il faudrait éclairer.

Demoore disait récemment qu'il aime traduire pour le coté ludique. Je suis très d'accord avec cela.

Francois

Modifié 1 fois. Dernière modification le 05/07/10 02:20 par Fcharton.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: domanlai (Adresse IP journalisée)
Date: Mon 5 July 2010 02:51:10
Citation:
Je ne comprends pas ce problème que tu as avec le contexte, il en faut en francais quand on lit, et en chinois quand on lit, et donc il en faut quand on traduit.

Je trouve qu'en plus c'est un aspect qui est plus important d'un point de vue chinois. Tant du point de vue de la langue (cela me paraît davantage significatif qu'en français) qu'aux locuteurs natifs qui me semblent faire énormément référence au contexte.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Mon 5 July 2010 04:57:57
domanlai écrivait:
>
> Je trouve qu'en plus c'est un aspect qui est plus
> important d'un point de vue chinois. Tant du point
> de vue de la langue (cela me paraît davantage
> significatif qu'en français) qu'aux locuteurs
> natifs qui me semblent faire énormément
> référence au contexte.

Question très intéressante...

Pour la langue, on dit parfois que le francais est plus précis, mais je me demande si ca ne vient pas juste de l'habitude qu'on a de notre langue maternelle. Ceci dit, ca doit aussi dépendre du niveau de langage utilisé.

Pour la réaction des natifs, j'ai aussi remarqué ça. Quand tu demandes un mot à un chinois, souvent il te demande une phrase, parfois pour te donner l'unique définition du dictionnaire. Je rapproche cette attitude d'une certaine réticence que j'ai observée à utiliser le dictionnaire (voire, j'ai des amis chinois qui disent que c'est 'mauvais' d'avir recours au dictionnaire). Je me demande dans quelle mesure cela vient de la façon dont le chinois est enseigné aux chinois.

Sinon, ca voudrait dire que le chinois est plus elliptique/polysémique que le francais. Je n'en suis pas convaincu (en fait, je pense que toutes les langues ont à peu près le même niveau de "contexte nécessaire", parce que tous les cerveaux ont à peu près la même capacité à traiter le langage...).

Francois

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: florent (Adresse IP journalisée)
Date: Mon 5 July 2010 05:13:42
intéressant échange sur le degré d'explicite ou d'implicite du langage

tu dis que dès que le contexte sera explicité la traduction pourra être détendue

tu me sembles tenir une position de bas contexte vis à vis de la langue, alors que je reste sur une vision haut contexte, selon la distinction de l'américain edward Hall.
Ton discours fonctionne très bien avec l'allemand ou l'américain. Je crois que l'aspect hautement contextuel du chinois ne peut être remis en cause. Les mots et les discours y sont allusifs, comme en japonais je crois.

Pour qu'un énoncé devienne explicite en chinois, il ne suffit pas de rajouter un mot, une phrase, un paragraphe, une page. Il faut aussi rentrer en profondeur dans les mots, dans la manière de dire, dans la situation et les personnes en cause.
La langue est approximative ; tout ne passe pas par les mots malheureusement
(toutes les langues sont ainsi, mais le chinois l'est beaucoup)

allez hop, je file faire mes bagages
(pas trop de contexte caché là dedansspinning smiley sticking its tongue out)

(ps : je te rassure, traduire est aussi un exercice amusant pour moi ; sinon je n'en ferai pas autant)

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Mon 5 July 2010 05:44:51
Bon, je sens qu'on retombe dans le flou, les contextes cachés, les allusions, tout ca...

Je crois que tout le monde passe par un stade où, pour traduire, on essaye de regarder derrière les mots, de trouver des "sens cachés". La traduction devient un jeu de piste, on se fait détective... Mais le problème des allusions, c'est celui des conspirations: plus on en cherche, plus on en trouve, des vraies, mais surtout des fausses. Et en fin de compte, au lieu de rendre la simplicité (éventuellement ambigue) du texte original, on impose au malheureux lecteur le fouillis d'allusions que nous nous sommes fabriqué (à partir d'un pauvre texte qui n'en demandait pas autant).

Or, le role du traducteur, c'est justement de rendre clair, pas de compliquer, et de s'effacer derrière le texte qu'il traduit, pas d'en imposer "sa lecture" (ou son décryptage).

Aujourd'hui, je préfère essayer de traduire sans trop d'imagination, et de laisser au lecteur le soin de chercher des allusions, ou de faire des commentaires de texte. C'est à mon avis plus exigeant que la traduction "interprétée", c'est probablement moins glorieux, mais je pense que c'est plus respectueux. Si je voulais faire oeuvre d'écriture, j'écrirais.

Mais chacun sa méthode...


Mais ce n'est pas, je crois, ce dont on parlait avec Domanlai. Le besoin de contexte, à mon avis, vient de trois choses :

1- la grammaire, qui fournit des pronoms permettant d'éviter des redites. Quand je dis, en francais "je le lui ai dit", il faut du contexte pour expliciter ce "le" et ce "lui".
2- le vocabulaire, qui est parfois imprécis, le contexte permettant de déterminer quel sens d'un mot on emploie (la vérité du tatouage dont tu parlais)
3- le style, et en particulier certaines figures de style, comme les métaphores, qui font justement référence à un contexte (sans contexte, la métaphore est juste incompréhensible...)

Si l'on regarde ces trois points, j'aurais tendance à dire que le chinois n'est pas fondamentalement différent du francais, on a des phrases plus ou moins elliptiques dans les deux langues, délibérément parfois.

Mais, tout naturellement, un francais est mieux armé pour comprendre, avec un contexte minimal, les sens d'une phrase française imprécise, qu'un chinois, et inversement.

Ce que je ne mets pas dans le contexte, c'est le bagage culturel de l'auteur (ou du lecteur), à mon avis c'est tout autre chose.

Francois

Modifié 2 fois. Dernière modification le 05/07/10 08:43 par Fcharton.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Richane (Adresse IP journalisée)
Date: Mon 5 July 2010 15:26:59
@ Florent et François

Je n’entrerai pas dans votre débat sur le besoin de replacer une phrase (un énoncé) dans un contexte pour en décrypter le sens. Car il va de soi que lorsque l’on traduit un texte, le contexte est fourni par le texte en question.

Et qu’au-delà du contexte il reste à savoir si - comme l’affirme François Gaudier - « il n’est pas d’énoncé ayant un sens en une langue qui ne puisse être traduit par un énoncé ayant un sens équivalent en une autre langue » et que « le travail du traducteur consiste alors à chercher le mot qui en français fait sens de la même manière ».

Sur le fond du débat entre « altérité » et « universalité » je pense qu’il y a un grand nombre de domaines dans lesquels « l’universalité » existe, car les êtres humains sont tous constitués par un certain nombre d’organes et de fonctions vitales qui sont les mêmes d’un bout à l’autre de la planète. Par commodité on peut classer ces fonctions vitales selon les organes auxquels on peut les rattacher, ce qui permet alors de distinguer :
- l’étage visceral, qui est le siège des instincts,
- l’étage du cœur, le siège des affects,
- l’étage de l’âme, siège de l’intuition, du beau et de la transcendance.

Mais il est un domaine où les hommes sont le produit de leurs histoires et ne peuvent pas se comprendre sans un effort d’ouverture et d’apprentissage de l’autre. Ce domaine, c’est celui qui a été sécrété par leur activité cérébrale (du cerveau), dont la langue est le vecteur le plus important.

Dans ce domaine l’universalité ne va pas de soi et un énoncé ayant un sens dans une langue ne peut pas toujours être facilement traduit par un énoncé ayant un sens équivalent en une autre langue.

Et cela est particulièrement vrai du français et du chinois, deux langues que je porte dans l’intimité de mon être.

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: Fcharton (Adresse IP journalisée)
Date: Mon 5 July 2010 15:51:08
Bonsoir Richane,

> Mais il est un domaine où les hommes sont le
> produit de leurs histoires et ne peuvent pas se
> comprendre sans un effort d’ouverture et
> d’apprentissage de l’autre. Ce domaine,
> c’est celui qui a été sécrété par leur
> activité cérébrale (du cerveau), dont la langue
> est le vecteur le plus important.

Ceci vaut pour toutes les relations entre personnes. Quelqu'un d'un autre milieu social, avec une autre histoire personnelle, d'une autre génération, peut elle me comprendre, se mettre à ma place?

C'est justement le role dévolu au langage, et, par delà, à l'Art. Je crois. Peut être que c'est en fait ce qui me choque dans la critique de Gaudier (merci en tous cas de m'y faire réfléchir). Au fond, défendre l'altérité au nom des différences de langage, ou de l'impossibilité de traduire, c'est un peu trahir la fonction même du langage...

> Dans ce domaine l’universalité ne va pas de soi
> et un énoncé ayant un sens dans une langue ne
> peut pas toujours être facilement traduit par un
> énoncé ayant un sens équivalent en une autre
> langue.

Je suis d'accord avec ca, et avec Gaudier aussi : la différence entre vos deux énoncés, ce "facilement" est la clef du débat, à mon avis.

> Et cela est particulièrement vrai du français et
> du chinois, deux langues que je porte dans
> l’intimité de mon être.

Je serais tenté de répondre que "nul n'est prophète en son pays". Sur ce forum, en répondant aux questions de français d'Henri, je me rends compte à quel point je n'approfondis pas le francais, ma langue, parce qu'elle m'est naturelle. Quand je lis du chinois, je réfléchis bien davantage, et cela me force, en retour, à "faire du francais", et à chercher des liens.

Peut être que la familiarité avec les deux langues qui résulte du bilinguisme rend plus difficile cette synthèse.

Francois

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Re: L’altérité de la Chine est une construction de sinologues
Envoyé par: florent (Adresse IP journalisée)
Date: Tue 6 July 2010 05:08:44
richane,
encore une fois je suis en forte symbiose avec tes propos
et dans l'admiration de tes formulations thumbs up

ton altérité à toi est étonnamment facile pour moi smileys with beer

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